La basse-cour, première et deuxième parties.
Poussins
de pâques et autres volatiles…
Voilà !
Ils sont là !
Trois
oies et cinq canards pour noël, une petite trentaine de poussins mâles et
femelles pour la viande et les œufs, et cela en vue de réactiver mon cheptel vieillissant.
Tous
les trois ans, je re-métisse les races et les renouvelle pour obtenir une
meilleure basse-cour, active, reproductrice et variée.
Première
étape, prendre une poule déjà expérimentée en maternage et tenter de lui faire
admettre quelques temps des petits « tout fait ».
Je
place doucement cinq par cinq les petites boules duveteuses âgées de deux
heures sous les ailes chaudes d’une maman d’accueil potentiel. (J’ai choisi
celle-ci pour son caractère aimable et sa taille conséquente.) Leurs odeurs se
mêlent mutuellement. Progressivement, Madame Poule gonfle ses plumes. Je
l’amadoue en la sustentant de temps à autre de la bonne pâtée maison bien
trempée travaillée pour les bébés.
Recette :
du blé concassé dans un vieux moulin à café enrichi d’un vieil œuf battu, le
tout bien poivré pour donner soif.(impératif l’eau)
J’y ajoute un reste de grains de pollen que je
n’utiliserais jamais, un tas de déchets écrasés et surtout beaucoup d’eau de
pluie. Bref, le tout forme une purée, hideuse et tiédasse, ce qui ne manquera
pas de paraître appétissant à mes ouailles.
Pour les oisons j’y ajoute de la salade et de l’herbe
coupée.
J’en
ai préparé presque un kilo pour être nantie les deux premiers jours ; ensuite
ils apprendront à picorer de minuscules graines de canaris éparpillées sur l’herbe
du jardin.
Puis... tout suivra petit à petit son cours naturel...
…Dans
la jatte à pain dur trempé, bientôt les mouches viendront s’y reproduire et
leur ponte de tendres petits vers blancs assurera un apport de protéines succulent
et bienvenu.
Il
faut se méfier des gallinacés : elles aiment la viande, ce sont des
animaux qui n’acceptent pas facilement les arrivants : elles les attaquent
en groupe et les dévorent vivant.
Ici,
la poule est séparée du groupe, mais je sais qu’elle peut d’un instant à
l’autre piquer au cou les petits et les secouer jusqu’à les tuer.
Je
reste constamment auprès de la couvée, vigilante et observant le moindre signe
de rejet.
Lorsque
les poussins semblent imprégnés et bien réchauffés -une mère naturelle se
serait arrachée les plumes intérieures des ailes et des flancs pour faire office
de bouillotte avec la peau-, je dispose une coupe d’eau fraîche sur le fond de
la cage (anciennement celle des écureuils, lire épisode précédent !) et adjoint
une écuelle de pâtée sur le côté.
Ce
à quoi je voulais arriver se passe : la poule montre la méthode du
picorage et les minuscules volaillons s’empressent de suivre l’exemple.
Elle
accepte de les réchauffer encore quelques temps après ce premier repas, puis,
imprévisiblement, son courroux éclate férocement sur un des poussins qu’elle
pince violemment et envoie valser sur un des murs de la cage. Horrifiée, je
vois l’oiseau mort et sanglant. Je m’empresse de la rapatrier dans son groupe,
toute caquetante de colère, fougueuse et véhémente. Je retourne avec un peu
d’exaspération vers la marmaille affolée et piaillante dont il va falloir
assurer désormais seule la prime existence.
Elle
a travaillé durant plusieurs heures.
Faut
dire… qui accepterait une trentaine d’enfant en nourriciat imposé à part une
poule ?
Bien.
Finalement, le travail le plus important est fait, et du reste, il faudra s’en
contenter.
Beaux
jours :
Il
fait si beau que je libère mes petites bêtes à chaque soleil bien chaud Je
m’amuse et me régale à les voir brouter et s’ébattre, tout en les surveillant
(les chats, les pièges du jardin…)
Petit
problème :
-les oisons s’entendent avec les canards mais
attaquent les poussins.
-Les canards recherchent instinctivement la compagnie
des oisons plus grands qu’eux.
-Les poussins se plaisent avec les canetons, qui les
réchauffent volontiers.
-les canards au naturel affable et
tranquille, s’entendent avec tous.
Bon !
Je résous cela arbitrairement : d’un côté les palmes, de l’autre les « gratteurs ».
J’enferme
alternativement les poussins pour les protéger des oisons tandis que je sors
ces derniers avec les canetons ; qui se reconnaissent en fin de compte de
la même espèce.
Des
Bêtes et des Humains Basse cour deuxième partie
Au
bout de cinq jours, je programme des nettoyages en règle chez mes volailles
Je
passe trois bonnes heures à brosser à l’aide d’une brosse à dents souple les
pennages des poussins, figés par des tâches de pâtée durcie , j’aère et je
lisse les plumes naissantes, car mes petites horreurs sont capables de se
manger jusqu’au sang et de se blesser mutuellement s’ils repèrent sur un dos un
semblant de pâtée..
Décoller
les duvets et petites plumes est indispensable car, au contraire des canetons
et oisons qui se lissent et se nettoient depuis tout petits, eux ne se lavent
pas encore seuls.
Je
n’ai aucun antibiotique et bien qu’ayant prévu des pertes inévitables sur le
nombre final, je tiens à les limiter
Mes
oisons du même âge régentent la marmaille palmée, c’est indéniable
Ils
broutent le trèfle, le pissenlit, se régalent des fleurs et de cerfeuil, même
mon thym y passe. Il ne faut cependant pas exagérer ma tolérance ; mes
plants sont préservés à divers endroits du terrain, mais tout de même !
Un
caneton déjà dodu s’aventure devant un vermisseau tortillant et recule,
effarouché.
Mais
le bec intéressé se rapproche et soudain, perdant toute timidité, le caneton
s’en empare et déguste maladroitement ce plat de choix. Puis stoïquement et
dandinant, il se dirige vers la coupe d’eau pour se rincer la tête.
Arf !
Pardon Jacqueline ! Ton magnifique et démesuré cendrier de cristal (que tu
m’as donné lorsque tu as stoppé le tabac) trône au beau milieu de ma pelouse,
étincelant et crépitant d’éclairs de soleil. Il a l’avantage d’être stable et
solide, et ne se renverse pas. Et je t’assure qu’il fait bon effet ;
de sa lumière irradiante émane des flèches qui m’ironisent les yeux…
Apres
leur premier bain, je joue à la coiffeuse avec les canards que je sèche au
séchoir a cheveux (ça sert seulement à cela ce truc là chez moi.) je les
ébouriffe tendrement et leurs yeux se ferment de plaisir ; puis, doux et
reposés, ils retournent tous dans l’herbe tiédie de soleil.
Mon
regard reste concentré tandis que ma pensée se ramifie à voir le groupe palmé
s’ébattre sur l’herbe du jardin de devant.
…Je
vois ce bébé oie gris plein de fierté du désir de commandement.
Il
se dresse et s’étire en hauteur le plus possible, ses petits moignons d’ailes
encore en duvet voletant nerveusement et la tête étendue vers le ciel, bec
dressé, port altier.
Il
est le maître des oies et des canards.
Ce
doit être un jars…
Il
mène tambour battant sa petite troupe et n’hésite pas à pincer les
récalcitrants.
Je
réalise que je dois laisser cet oison (que je baptise Monarque en moi même)
commander et le laisse donc maltraiter un peu (du moins de mon opinion d’humaine) les
autres.
J’étudie
la différence d’attaque de bec entre ceux qu’il veut faire suivre et obéir, et
ceux (les poussins) qu’il veut irrémédiablement chasser donc tuer. Le bec se
fait moins piquant, l’injonction dans le mouvement est moins agressif.
J’observe
néanmoins que les canetons, tout en recherchant sa protection, et même s’ils ne
se dérobent pas aux coups de bec, s’écartent de son passage.
Il
faudra qu’ils se régentent seuls dans quelques jours…le règne de cet oison sera
ma liberté.
…Les
images de Rois damasquinés des vieux livres d’histoire me reviennent en
filigrane, colorés et dorés, en même temps que l’odeur de craie et d'éponge
mouillée des anciennes classes.
Ils
portaient des couronnes. Naîssaient-ils toujours couronnés ? Je ne me souviens plus... Quelle
hérédité !
Jadis,
la couronne était aussi une pièce de monnaie ; ce non d’argent venait-il
du dessin en effigie posée sur son or ? (Pourquoi n’apprend-on pas ce
genre d’anecdote à l’école ?)
Est-ce
ainsi qu’à débuté l’idée bien inscrite en notre société actuelle que l’argent
était le vrai pouvoir ?
Ou
l’a–ton simplement symbolisée ainsi, d’une figurine drastique et royal ?
Notre
euro a failli être un écu. Ce devait faire trop monarchique pour
une partie des pays concernés, républicains…
Nos
vrais dirigeants sont très intelligents : ils réfléchissent et
décortiquent les implications de leurs actes et édits avec contrôle.
L’euro
regroupe bien plus de suffrage avec son concept induit de « grand peuple
uni » et cela sans connotation directe économique ni religieuse….
…Je
reprends le cours de mes contemplations sur les palmipèdes.
Les
canetons barbotent dans la vieille poêle à paella immense et emplie d’eau, transformée
en mini mare pour l’occasion. C’est un peu juste mais correct pour les premiers
bains.
L’un
des oisons se gratte un flan avec le rebord aigu du récipient.
C’est
incroyable l’intelligence (primaire) des oies : elle savent utiliser un ustensile et s’y adapter.
Mais
un homme approche…Cette grande masse vêtue de bleu sombre joue inconsciemment
les épouvantails et terrorise mes volailles palmées. Celles-ci se
réfugient à mes pieds.
Ils
me cancanent aussitôt leur peur et leur effroi.
Je
connais leurs câlins et la façon de rassurer mes animaux : j’entoure leur
bec de la main, délicatement, à la manière ferme et douce de la caresse, en pressions
légères et précises.
…« Nous
nous sommes compris, Oisons bébés : vous êtes les maîtres des Palmes, mais
vous m’ordonnez le commandement de votre troupe envers les autres bipèdes… »
Tant
de compréhension mutuelle m’effraie, comme à chaque fois dans ces
circonstances.
Comment
tuer pour manger ceux que l’on commence à aimer, à apprivoiser ?
Je
n’ai ni l’esprit ni le sens du sacré ou de l’action sacrificatoire pour donner
une raison à mon besoin tout prosaïque de repas futurs non traficotés et à peu
prés bio.
L’atroce
du vivant s’octroyant le droit de mort sur d’autres vivants me saisit
régulièrement conjoncturellement.
Je
ne tremble pourtant pas au dépeçage.
Comme
c’est terrible d’aimer ses repas…
feuilllle.