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Feuilllle, Itin'Errance et Natur'Ailes
6 avril 2013

Et si l'école n'était plus un plaisir?

 

"Pour avoir une situation plus tard" : l 'école... NON :

Rendez-nous les écoles "pour apprendre".

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 ... Années cinquante et quelques.

 

La Petite a presque cinq ans, elle va aller à l'école, comme son ainée, âgée d'un peu plus de deux ans qu'elle.

Elle est heureuse, enfin elle va aller à l'école. Elle pense à sa chance.

A cette époque, on ne va pas à l'école si jeune, il n'y a pas de maternelles du reste.

Sauf si...

... C'est une période de crise de logements en France : d'une part la population moyenne est pauvre, (la différence entre les classes sociales est énorme) d'autre part après la guerre tout n'est pas reconstruit : pour un simple vingt-cinq M2 où logent plusieurs membres d'une seule famille, et peu importe sa taille, les "dessous de tables" sont obligatoires.

Les ancêtres des "cautions" sans doute.

A part que nuls ne les récupéraient.

Alors les parents ont confié un an (ou plus) leurs deux filles, le temps de trouver un habitat et un travail fixe pour le père, ouvrier itinérant et payé à la semaine, car les déplacements pour leurs enfants commencent à devenir problématiques : la grande doit entrer à la vraie école. La Grande école.

Justement, la sœur de la maman est institutrice, est la marraine de l'ainée des fillettes, et se chargera volontiers d'elles. La mère  sera rassurée pour ses gamines ; elle sait bien que sa sœur , elle-même maman depuis peu d'un petit garçon, adore ses nièces, elle s'en occupera bien.

Et puis cela mettra "un peu de beurre dans les épinards" de la maman-célibataire-institutrice, qui doit se débrouiller seule pour élever son fils, car elle n'est pas mariée.

... Le chaleureux et minuscule village ( Foreste) champêtre du Nord qui  accueille l'institutrice a accepté dans ses locaux de fonction une femme seule, institutrice, avec trois enfants. Le bébé va en nourrice la journée, les deux fillettes vont à l'école.

Dans la classe de leur tante.

L'ainée est scolarisée "pour de vrai", la cadette pour être gardée en sécurité. Elle aura un pupitre comme tous les élèves et devra se tenir bien, rester calme et faire ce qu'on lui dira de faire, c'est à dire "apprendre".

Elle acquiesse joyeusement : elle a vu des enfants rentrer joyeusement de l'école et dire "que c'est bien". Et ça fait des camarades.

L'école primaire est constituée de deux classes de plusieurs niveaux, mixtes avant l'heure par commodité : un certain Monsieur A. s'occupe des cours moyens et Fin d'Etudes, la tante prend en charge la première classe comprenant le Cours Préparatoire et les deux Cours Elémentaires. Chaque section est formée de deux rangs de pupitres.

Ce sont deux classes séparées par une cloison commune, chacune d'elle doit rester silencieuse pour ne pas gêner l'autre.

La petite doit faire comme tout le monde, il n'y a pas de "passe-droit" à cette époque : si on va à école  c'est pour apprendre, et travailler. Peu importe l'âge.

La petite a bien des tremblements dans les jambes de rester si longtemps assise sans trop gesticuler, mais savoir qu'il ne faut parler lui laisse une liberté interne dont elle n'avait pas idée, et qui la régale d'emblée. Elle n'a aucun mal à suivre sans s'empécher de rêver, et sait lire et compter.

Mais elle a rarement écrit, et quand elle l'a fait, c'était avec un crayon noir. (Le nom à cette époque du crayon de papier)

A l'école, dès la première classe, et pour tout le monde, c'est le porte-plume et l'encre.

Le crayon noir n'est autorisé que lorsque c'est l'heure et le jour du dessin, c'est à dire, quand tout va bien, une fois par semaine en fin de journée ; le samedi donc, car dans ces années-là, le "week-end " n'existe pas encore : les samedis sont scolarisés comme les autres jours jusqu'à 16h30.

La grande difficulté est donc d'écrire : le porte-plume, peu adapté aux petits doigts pourtant habiles à façonner divers objets en terre glaise, en chiffon ou en bois, (comme tout enfant fabrique ses jouets) crache l'encre violette sans qu'elle en maîtrise l'écoulement ; ceci malgré ses efforts et son application, et elle en est réprimandée chaque jour, comme il se doit.

Non pas qu'elle en fasse grand cas, ce qui l'agace surtout c'est de ne pas y arriver.

Mais elle a dès le début trouvé la solution : la Petite transforme dans son imaginaire toutes ces tâches et ratures en végétaux, arabesques ou animaux fantastiques : une araignée tissant sa toile, un nuage avec une forme, comme lorsqu'on les voit dans l'azur quand il fait beau et que la ouate du ciel y navigue paisiblement, un mouton auquel elle rajoute des pattes, un bandoléon zigzagant sa musique, une feuille avec une tige...

Elle dessine ses tâches lorsqu'elle a le bonheur de voir "cracher" sa plume. Elle se dit que toute façon elle n'en ai plus à une près, puisque aussi bien elle aura une réflexion sur la malpropreté du cahier, autant que celui-ci lui plaise.

Elle a réalisé, puis retenu : l'école, ce sont des livres qui ne nous appartiennent pas, dans lesquels on puise des merveilles, du moins c'est la sensation qu'elle éprouve à l'époque, et des cahiers qui sont à soi. Tout le monde sait que les cahiers sont aux écoliers, qu'ils sont leur travail.

... Et puis, il y a aussi son imaginaire, dont elle ne veut pas se séparer, même à l'école, alors elle transforme la réalité scolaire par la sienne propre, apprivoisant un travail ardu et laborieux pour en faire un jeu dessiné : par exemple un F majuscule devient une échelle avec de multiple échelons, comme il y en une pour monter au  grenier à foin dans sa maison natale, chez le Grand-père. Un O aura toujours presque caché dans son cercle deux petits yeux ou un point pour une bouche, intraduisibles aux yeux des profanes. Un E dans l'O (œ) devient un escargot avec une minuscule casquette.

C'est ainsi : il y a des tâches pas exprès, et d'autres exprès pour justifier les premières. Il faut que cela ressemble à quelque chose, qu'elle reconnaisse les histoires qu'elle se raconte ainsi à l'insu des autres, mais il est nécessaire que le figuratif ne le soit qu'à ses yeux, et passe au regard extérieur pour des maladresses.

Elle peut se rappeler ses histoires ébauchées par ces tâches arrangées, mais ne doit pas communiquer leur contenu aux autres. Elle sent que ce n'est pas "bien".

Elle dessine des tâches, des points, caresse même parfois d'un doigt discret l'encre humide pour l'étaler avec à-propos pour sa "figure", pour "parfaire" l'idée de l'image minuscule dont elle pourra se souvenir, représentée par le biais de l'écriture. Les manches de son tablier sont souvent teintées de violet...

C'est un pont entre son symbolisme et la consigne.

Un code -personnel- dans un code -collectif- ; l'écriture  est uncode parmi tant d'autres.

 

 

... De fait, écrire à l'encre et au porte-plume lui restera difficile toute sa vie d'écolière.

Elle a bien compris que l'écriture est indispensable pour comprendre et se faire comprendre, pour transmettre et recevoir. C'est donc  par souci que l'on reconnaisse bien ses lettres et ses mots,  qu'elle ébauche simplement, presque invisiblement,  une casquette d'escargot, un barreau d'échelle, un embranchement ou un arrondi.

Cette écriture fantaisiste et compréhensible par elle-seule, arrangée de traits symbolisant les objets, racontaient une histoire. Mais le travail était respecté : les mots reconnaissables, la consigne suivie.

 

Apprentissage du "je ne sais pas, mais j'apprends et j'en suis contente". Le plaisir brut d'apprendre pour savoir, comprendre, créer, c'est le but de l'école : on y apprend. C'est le travail commun de l'école par les enseignants et de l'écolier, chacun à sa place.

... C'est ainsi qu'elle écrira ses premières histoires,  par le biais d'une écriture transformée imperceptiblement en une bande dessinée camouflée et entrelacée discrètement et tendrement dans une phrase d'un programme n'ayant rien à voir avec sa pensée, qu'elle assimilera tout de même sans mal.

Elle écrira des histoires car elle a appris à écrire à l'école. A tenir un porte-plume : donc la patience et la ténacité. Plus tard, elle aimera la littérature, l'histoire et les sciences, et aimera la musique des mathématiques.

 

 ... C'est long la journée de classe pour elle, elle est au même rythme que les autres un plus âgés qu'elle, mais bien sur elle sait bien qu'elle "doit tenir".

Elle est frustrée chaque matin : elle n'a pas le droit de lire tout haut, ce qu'elle adore, car elle n'est pas une vraie écolière : elle est trop jeune ; et puis de toute façon elle sait déjà ; L'institutrice a beau être sa tante, elle doit apprendre la lecture et "se donner" à ceux qui ne savent pas. C'est normal.

... Parfois, elle écoute la maitresse faire le cours aux grands sur les deux rangées à l'autre bout de la classe: elle raconte l'Histoire. La Grande, celle qui s'est passée et qui "est l'ancêtre du maintenant".

Des hommes préhistoriques, des gaulois, des invasions, des rois. En même temps elle montre des images, et la Petite apprend des tas de mots. Certains sont les mêmes, et ont plusieurs significations. Et d’autres sont différents, mais veulent dire la même chose, à part les « nuances ». Elle se dit qu’il faut surement, quand on est grand, faire attention à bien expliquer. Alors elle aimera le dictionnaire, et plus tard, bien plus tard, le NET.

 

... La géographie c'est pour tout le monde, mais elle, elle a juste à apprendre  quelques rivières, ou montagnes, ou des villes ;  pareil pour les récitations, elle a juste ce qu'il lui faut pour lui donner envie de faire l'effort sans se décourager ; alors sa mémoire travaille aussi, comme dit sa tante, la Maitresse.

Au début,  la Maîtresse, (qui redoutait surement un reproche de favoritisme si elle ne le faisait pas comme c'était l'habitude) attache dans le dos le cahier de la Petite pour montrer aux autres combien il est "mal tenu". C'est la coutume, mais c'est assez rare car les enfants s'appliquent généralement.

Mais la fillette est trop jeune pour en ressentir de la honte comme c'est l'usage et cela n'a aucun sens pour elle : aussi elle l'oublie dès qu'elle est dehors ou sous le préau et joue avec les autres avec autant d'entrain et en riant autant qu'eux, au lieu de se tenir le dos contre le mur pour cacher les tâches.

Les deux instituteurs s'en rendent compte et elle les entend se dire : - "elle s'en fiche, elle est trop jeune ".

Elle ne comprend pas bien de quoi elle "s'en fiche" sur le moment, mais elle s'en souvient, car ils la regardaient, et ils ont retiré le cahier de son dos rapidement en riant.

Ce jour là elle a appris sans encore en avoir conscience, qu'être jeune, c'est être insouciant.

 

Les souvenirs heureux, chatoyants de ce début de scolarité dans une campagne et à une époque où l'on ne craignait pas de professer un cours de sciences naturelles sur le terrain, bois ou champ (les courses aux trésors par équipes, bravo à celui ou celle qui trouvait la coccinelle ou le trèfle à quatre feuilles)

où une petite frise de cerise (Oh! les crayons de couleurs, accessibles seulement en classe!) tamponnée de la main sure de la maitresse en fin de semaine sur LE CAHIER pour récompenser le travail assidu,

où quand Mardi-gras se fêtait avec des crêpes faites ensemble sur le poêle près du bureau une fois l'an, (chacun apportait qui un œuf, qui un peu de lait de la vache,  un peu de farine ou de sucre, une couenne de lard neuve, ou même de la confiture!)

où trois fois l'an les écoliers sages (et respectueux avec simplicité) qu'ils étaient admiraient une projection d'images sur un drap blanc, fenêtres assombries par les lourds rideaux noirs de l'époque,

où le chant se pratiquait régulièrement sans radio,

tout cela reste mêlé aux parfums non pas forcément de l'enfance de la Petite devenue grande, mais surtout à une école qui apprenait.

A cette époque les écoliers allaient à l'école pour apprendre.

 

Et à présent?

A présent les élèves vont à l'école pour se faire une situation pour plus tard. C'est le langage que l'on entend à tout bout de champ : "si tu ne travailles pas bien, tu n'auras pas un bon  emploi plus tard", "si tu ne réussis pas ta scolarité, tu auras des problèmes plus tard", etc...

L'école fabriquerait-elle des coupables?

L'école a t’elle perdu son véritable bon sens : celui de rendre désirable le fait d'apprendre? Sans crainte de l'avenir à la clef, car s'il y a bien une chose qui devrait être agréable à l'enfance, voir même bordée d'insouciance, c'est bien cette préparation à la vie!

L'école n'est-elle plus qu'un gigantesque programme d'apprentissages lourds et conséquents que tout élève doit ingurgiter?

Au risque de faire stresser avant l'heure l'enfance, et le projeter trop tôt dans le monde des adultes.

De quel droit demande-t-on à un enfant d'être si performant?

Et si l'école n'était plus un plaisir?

 

 

:(    Ce n'est pas grave : il faut bien apprendre un jour ou l'autre que le travail n'est pas un plaisir, hein? Comme ça c'est fait, les petits sont prêts à être grands.

 

 

 

 

 

 

 

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