Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Feuilllle, Itin'Errance et Natur'Ailes
30 août 2007

LE DICTIONNAIRE

dico_001

LE DICTIONNAIRE

Définition : Recueil des mots d’une langue, des termes d’une science ou d’un art, rangés par ordre alphabétique…

C’est froid, une définition, mais celle-ci a au moins le mérite de porter presque en son cœur le mot recueil…Un mot qui sent la collecte, l’étrange et l’inconnu, un mot qui se feuillette avec les doigts, avec les yeux, avec la tête…

Un livre qui se découvre petit à petit mais que l’on ne connaît jamais tout à fait ; qui porte en lui le rêve et le voyage, l’au-delà du quotidien, les pensées sauvages.

Un jouet raisonnable, un instrument de travail distrayant : on en caresse les pages et les images au hasard, sans chercher forcément un mot spécial, on reste des heures devant une reproduction ou un terme jusqu’à l’intégrer, jusqu’à en devenir « savant »…

Le désordre dans l’ordre…

De l’outil laborieux, malgré sa couverture rébarbative et craquante de papier d’emballage brune (ou « bleue scolaire »), on en vient ensuite au jeu sérieux…

dico_004

Version 1935

…France, 1958 ; Thiérache, (département de l’Aisne).

… Nous étions trois bambins à vivre ensemble en pleine nature dans une famille de garde forestier. La maison était chaleureuse et accueillante, l’argent était rare évidemment comme souvent à cette époque, la débrouillardise et l’autarcie étaient les moteurs de la vie habituelle.

Sur la colline esseulée et arrondie, et audacieusement flanquée de deux grands sapins sur la gauche et d’un immense jardin à droite, la maison de briques rouges au toit bleu gris d’ardoises s’organise hiver comme été autour des animaux et de la forêt. Sa porte d’entrée révèle lorsqu’elle est ouverte une cuisine assez large, qui donne sur l’étable de nos deux vaches ; Attenant à l’étable, la soue, le poulailler et les cabinets (et oui ! un trou confortable sur un meuble de bois ! Nos petits derrières roses se sont-ils assez encrés en ce temps-là avec le papier des journaux minutieusement coupés une fois lus, et qui servaient de….vous devinez quoi !) ; Puis vient le bâtiment à bois qui ne contient jamais entièrement tous les stères indispensables aux besoins annuels de chauffages et de cuissons.

De l’autre côté de la cuisine, la grande salle, à la fois dortoir et salle à manger, offre aux regards ses deux vastes lits superbement recouverts par Mémé de tissus fleuris , une machine à coudre à pédales (Original Victoria), une gigantesque armoire où logent, pliés et odorants, linge et vêtements, un gros poêle Gaudin merveilleusement peint de roses bleues, et une table centrale autour de laquelle nous nous poursuivons inlassablement en cas de mauvais temps (une dizaine de chaises tressées de paille plus ou moins bien rangées l’entourent). Un bahut conserve le long d’un des murs les choses mystérieuses et les secrets celés des adultes, et, dans l’angle le moins éclairé, une autre table, géante à nos yeux de petits enfants et peinte de sombre, sert à empiler je ne sais plus trop quoi ; elle est surmontée d’étagères de la même teinte.…

Cette table ? à éviter, le Grand-père n’hésite pas à se faire respecter ! Pas touche, les Mômes !

…Les jouets étaient rares : à part les Nounours (un différent pour chaque enfant), ils étaient tous fait maison : les deux « catins* » et leurs habits de rechange, leur lit échafaudé dans une caisse en bois joliment tapissée de tissu percale clair et gai, quelques écuelles en guise de dînette (fonte, bois et terre), une locomotive et son tandem en fer.

Nous n’avions pas de crayons de couleur, pas de peinture, un stylo bic était précieux, le porte-plume et la bouteille d’encre noire aussi, même le papier vierge était sauvegardé méticuleusement. (Sur la table à  "pas touche" !)

Mais tout papier d’emballage était repassé avec les vieux fers qui chauffaient sempiternellement près de la cafetière, sur un coin de la cuisinière, et Grand-père nous taillait toujours très soigneusement de la pointe de son couteau (Opinel) les crayons « noirs ».

Je me souviens aussi que du minuscule meuble de couture de Mémé s’écoulaient, si l’on savait s’y prendre, (et on savait, n’en doutez pas !) des boutons sublimes, incongrus, dépareillés, qui nous servaient de perles.

Au-delà de l'ancestrale habitation, l’espace, émaillé de vaches et de moutons, vert, feuillu, marbré des couleurs sombres des arbustes à baies, des caducs et persistants, ondulait sous un vent perpétuellement sonore, et notre vivacité s’en nourrissait intensément.

La terre glaise du ruisselet nous offrait les délices du modelage, les fleurs des champs ceux des bouquets floraux ; nous apprivoisions les animaux fermiers avec constance et beaucoup d’amour, ils étaient ensuite tués pour les repas devant nous, qui détalions, horrifiés, mais nous connaissions déjà inconsciemment le prix à payer pour manger de la viande de temps à autre. (Volailles et lapins)

La pâture érigeait son petit théâtre de verdure sur lequel nous jouions des scénettes et chantions des refrains inventés (une dénivellation du pré figurait coulisse et scène), la forêt se construisait soudainement de cabanes, la coquette petite barrière blanche et grinçante de la petite cour d’entrée nous servait de balançoire et les dalles d’ardoises brutes serties au sol, de marelle.

Le gigantesque chêne accroché au bas de la colline nous fournissait tous les glands dont nous avions besoin pour nos minuscules bestioles recomposées, ses énormes racines garnies de mousse nous trouvaient parfois allongés sereinement entre elles.

Fram, gentil chien bâtard noir et blanc, s’acoquinait régulièrement de nos présences malicieuses mais toujours respectueuses : tuer pour manger, certes, taquiner passait, nuire sans raison, nous n’y pensions même pas.

Derrière la grande pièce à vivre, une chambre réservée aux grands-parents aussi immense que la salle continuait le prolongement de notre demeure,  suivie d’une autre plus petite pour les Arrières Grands Parents, le tout meublé de bois exclusivement. Un escalier rampait en descendant de cette pièce et en grognant au moindre courant d’air pour mener à la cave à fromages.

Du minuscule couloir servant à garder les pains, un autre escalier grimpait alors dans un endroit qui nous faisait un peu peur, à savoir le fameux grenier : un antre énigmatique où un tas de vieilleries s’entassait pèle mêle, et qui dissimulait ses mystères d’avant guerre que nous fouillions sans vergogne ! Rien ne nous plaisait plus que de monter fourrager au grenier, mais nous n’osions y  grimper qu’accompagnés d’un(e) adulte… Les cadres des ancêtres austères paraissaient nous observer avec mépris, et il nous semblait que les objets nous étaient vaguement hostiles et qu’ils nous ordonnaient de chuchoter pour ne pas les éveiller de leur passé ouaté…

Nous en redescendions poussiéreux et heureux, palpitants et soulagés, déguisés des fanfreluches anciennes et démodées, avec quelques colifichets que notre Grand-mère souriante situait avec précision dans les rides et méandres de son existence.

« -c’était à tante Andrée, ce sac. »

Ou bien :

« -ah tu as trouvé la vieille baratte à beurre ! Mais qu’est-ce que tu vas faire encore de ça ? »

Et encore :

« -Mais ! Ce sont les tabliers de ma mère ! Attends là un peu que je voie si je ne peux pas en retirer quelques bons chiffons ! »

Puis lassés et comme engourdis de notre intrusion, nous courrions à perdre haleine dans la pâture en hurlant de joie et nos yeux se dessillaient alors dans la lumière du jour, crue et éclaboussante...

…Si les jeux d’intérieurs étaient sensés devoir être plus calmes, il fallait bien tout de même nous occuper ! Une bande d’enfants heureux, même petite, (il y avait en plus deux autres « Tiots Mouflets ») ne peut rester des heures sans rien imaginer ni bâtir.

Et les soirées étaient aussi sources « de retour au calme », la preuve :

Jouer au « poste TSF » nous arrachait des « srrouikksss et des scrrrouchts,  » entrecoupés comme il se doit de lambeaux de chansons, de paroles, de bruits divers, et nous tournions pour une bonne réception du son les doigts tendus de « l’enfant-poste » avec amusement et application ; chacun notre tour nous nous évadions ainsi dans des informations enfantines et joyeuses et des jeux radiophoniques fantaisistes, tandis que les deux autres réglaient et écoutaient le poste.

Jouer « au train » nous faisait déplacer sans douceur quatre chaises face à face et nous les arrangions « façon wagon » sous une des fenêtres. Nous tressautions alors allégrement sur des cahots ferroviaires, aussi imaginaires que trépidants, et nous voyions les paysages défiler à grande vitesse. Nos exclamations ressortaient ce que nous avions pu apercevoir ailleurs, nous nous extasions sincèrement sur de grands monuments ou des situations cocasses mimées. Il va sans dire que le contrôleur poinçonnait nos billets signés malhabilement de noms de villes soi-disant lointaines… (Un des adultes qui circulaient par là au hasard de leurs passages était harponné d’une supplique vite accordée.)

Jouer à ce jeu insolite « attention à la population » relevait du pur baroque : trois joueurs, trois rôles : le Regardeur (qui devait écouter !), le Pinceur, et le Causeur.

Le Causeur, les lèvres tenues pincées entre les mains du comparse Pinceur, devait articuler clairement cette expression intégrée dans une histoire (logique de préférence, mais la logique des enfants !) sans que l’autre puisse deviner qu’il allait la sortir ! Le « Pinceur » devait l’en empêcher « juste à temps », en lui refermant la bouche, mais le Causeur narrait évidemment des histoires qui suscitaient l’attention et la curiosité pour en faire oublier l’interdit, et clamait très rapidement l’expression

Tous nous  gagnions autant que nous perdions, dans des éclats de rire. Le Regardeur décidait si oui ou non le Causeur avait réussi son défi.

Ce genre de « retour au calme », assez bruyant il faut bien le dire, enclenchait naturellement au bout de quelque temps un excédé quoique amusé :

« -Ne faites pas tant de bruit les enfants ! Et rangez un peu que j’ai un peu de répit ! » destiné à la petite troupe !

L’imagination fertile des « bambins » utilise absolument tout ce qu’elle peut saisir à sa portée pour s’évader… Peu de jouets et beaucoup de jeux…

…L’austère table noire recelait un trésor : un vieux et lourd bouquin cartonné d’ocre, écrit en noir et blanc, que nous donnait la Grand-mère, lorsqu’elle ne pouvait plus supporter nos chahuts bruyants et nos gambades intempestives, et alors nos petites pattes salies de nos jeux poussiéreux étaient vite rincées à l’eau froide !

Des trois livres existant à l’époque dans la maison, c’était évidemment notre préféré, que nous sachions lire ou pas, à nous enfants un peu farouches et campagnards qui poussions avec bonheur et liberté dans un espace immense, entourés d’arbres et de ruisseaux, d’un village excentré, et d’une école à classe unique.

Nous étions souvent dehors hors scolarité,  mais au cœur de l’hiver ou le soir, tous installés dans le même lit, à l’aise et au chaud sous la plume, nous jouions au DICTIONNAIRE.  

…Nos jeux avec ce livre fantastique s’apprirent au fil du temps, ils se différencièrent petit à petit, devinrent de plus en plus élaborés car nous les peaufinions en prenant de l’âge ; je les ai transmis à mes enfants, étant l’heureuse détentrice de ce vieux trésor qui ne passionnait guère une fois adultes les deux autres compagnons, et qui préférèrent l’une des casseroles, l’autre une culotte de velours côtelé du  vieillard. Chacun a placé sur les vétustes objets l’attrait affectif qu’il y portait, la grande est devenue enseignante amoureuse d’art culinaire, le garçon un adulte accompli qui s’occupe avec efficacité et chaleur de SDF, et je continue à effeuiller les pages de la vie et lire et écrire… et surtout rêver…

…Je n’affectionne guère les dictionnaires nouveaux sans images, ou alors trop brillants, trop nets, trop directs. Ces « dicos » là sont fonctionnels, utiles, efficaces. J’en ai souvent besoin. Mais il est impossible de « jouer » avec eux, de les chérir de la même manière.

…Mes deux enfants s’en sont amusés autant que nous trois avions pu le faire il y a un tout petit peu moins de cinquante ans…

Je ne sais encore à présent, qui voit avec tendresse se profiler le nouveau profil de grand-maman à mon tour, ni me lasser de tourner les vieilles pages flétries à l’odeur ancienne, pour y découvrir de nouveaux  mots et de nouvelles  images et m’étonner de leur passage stoïque dans le temps, ni me priver du plaisir partagé que nous éprouvons ensemble à deviner les curieuses  reproductions en noir et blanc d’objets souvent devenus anachroniques.

C’est la caresse d’une enfance inoubliable liée par ce livre (entre autres) à celles très modernes de ma fille et de mon fils.

Nous ne savions pas, enfants, que nous jouions aux « savants », mais nous l’étions déjà puisque nous avions en nous l’essentiel : l’amour des mots et de l’évasion...

*catin : nom que l’on donnait dans mon village natal à nos poupées de chiffon ; ce n’était pas péjoratif. Leurs visages étaient très bien brodés, leurs cheveux de fils étaient toujours en chignons ou en nattes, leurs vêtements cousus à petits points soignés. Elles traversaient au moins deux générations.

dico_002

LES JEUX DU DICTIONNAIRE :

1)      Deviner les mots dessinés :

Dans les anciens dictionnaires, chaque nouvelle lettre commençait avec une demie page dessinée d’une scène ne contenant que des objets ou symboles  dont les initiales était justement cette lettre.

Il nous fallait en reconnaître -ou deviner- un maximum de mots lui correspondant ; chercher leur fonction ou utilisation, parfois leur provenance. Ce n’était pas forcément facile de retrouver leur définition lorsque nous ne savions les nommer !

En général, les mots dessinés sur la page de présentation de la lettre étaient reproduits par la suite au côté de sa définition, mais pas toujours.

Certains mots ou ustensiles me sont encore inconnus aujourd’hui. Peut-être n’existent-ils plus, ou ont-ils été remplacés, le langage évolue.

Exemple :

F, comme FORUM !

dico_014 dicau_004

2)      Définir les mots :

C’est un jeu connu des lycéens et étudiants, en tout cas dans les années 70. Il fallait avoir un dictionnaire et être au moins cinq pour s’amuser vraiment, et quelques heures de «cours ennuyeux » se sont  égayées des fous rires contenus à la lecture de nos discrets petits papiers ! (hé hé les Profs !)

Nous découpions des pages blanches en  morceaux  identiques ; le maître du jeu (chacun son tour) trouvait un mot généralement incongru dans le dictionnaire et inscrivait sa véritable définition sur son papier, tandis que les autres inscrivaient sur le leur ce qu’ils en interprétaient, et ceci dans le plus pur « style dico ! »

Exemple :

GALIPOTER : cinq définition, à vous de choisir la bonne !

a)      v.t. enduire de galipot.

b)      v.t. faire des cabrioles, culbuter.

c)      v.t. organiser une fête. Québec.

d)      v.t. action qui consiste à ourler légèrement par pliage un jupon de tulle. (ancien)

e)      v.t. (du grec, galac, lait) action qui consiste à mettre en égouttoir un fromage frais. (ancien)

Il fallait évidemment trouver la bonne définition, en ce cas nous avions cinq points, tout comme le Maître des jeux si personne n’avait choisi la sienne (authentique celle-là), et les personnes qui avaient voté pour votre définition vous en donnaient deux.

3)      Le mot du hasard :

Là c’était plus simple, en ouvrant le livre au hasard, nous devions choisir un mot, puis pour chacune de ses lettres tâcher de le définir le plus rapidement possible, genre acrostiche. (Nous ne connaissions pas ce mot à l’époque.)

Exemple :

LAMPE : Lumière Apprivoisée Mais Parfois Éteinte.

…Un mot pouvait nous tenir éveillé ou en haleine durant pas mal de temps !

…Il y eut bien sûr d’autres jeux avec ce livre merveilleux, avec les suffixes, les abréviations, la phonétique etc. mais ces trois là furent nos préférés, de l’enfance à l’adolescence, et encore à présent il nous prend l’envie irrésistible de nous installer autour d’une table avec notre bon Dico actuel !

En revenant au contexte de l'époque, comment ne pas comprendre notre amour des mots à tous les trois!

S, comme SOURIRE! Et bon amusement :)

dico_016

Publicité
Commentaires
Y
je n'ai pas fini de tout lire ma Feuille, mais comme c'est beau, comme c'est feuillu, comme c'est fleuri et comme j'aime tout ce que tu écris ma belle<br /> <br /> ton ysandre
C
Je me souviens de ce jeu des définitions.<br /> <br /> cache_folie : Quelqu'un avait écrit."Adultère passionné".<br /> <br /> C'est en fait une perruque.<br /> <br /> merci<br /> Bises
F
Panne ? Que non! De la concentration à écrire mieux! :)
T
Je travaille beaucoup avec les dictionnaires !
D
Tu as dut t'attaqué à une grosse encyclopédie ... Amitié.
Publicité
Publicité