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Feuilllle, Itin'Errance et Natur'Ailes
22 avril 2008

Un temps de chien

Cette mini nouvelle est une fiction!!!

« - Alors, c’est à moi de raconter ? »

« - Oui » dit Pat, calmement. « Chacun son tour, et c’est à toi, Philou ! »


Nous étions tous les trois installés confortablement sur le parvis de la caserne, aux alentours, la fin de l’été gerbait ses herbes en bottes odorantes, le serpolet et les menthes affolaient l’odorat, le soleil presque au zénith allumait des éclats d’argent sur toute surface lisse.

Nous sommes Amis ; peut-être parce qu’aucun de nous trois ne sait oraliser ; cependant, nos signaux corporels et nos gestes élaborés nuancent nos idées aussi nettement que des mots le feraient, ces mots impossibles à émettre à nous autres muets… je crois surtout que notre amitié est inaltérable car nos parcours spéciaux nous ont rapprochés. Et en plus, nos familles ont toutes un membre travaillant dans cette caserne de pompiers.

Lisette me regarda, et je ne sais pourquoi, à sentir posées sur moi ses deux prunelles vives et brunes, je me sentis encouragé à narrer le plus grand évènement que j’eus à me remémorer jusqu’à présent…

Je n’en avais pas envie, mais Pat avait déjà raconté son long séjour en mer, en voyageur presque illicite, mais toléré, et Lisette son aventure formidable relatant son mini séjour dans un cirque.

C’était mon tour...

Un temps de chien !

Toute la famille allait aux sports d’hiver ! Le bonheur donc !

Nous étions partis à l’aube de ce merveilleux jour de Pâques, du sud de l’Espagne, et espérions arriver à Chamonix vers la fin de journée.

Dans la grande voiture bien chauffée, j’avais la meilleure place, « casé » entre Daphné (la cadette) et Julien, et nous étions sereinement assis tous les trois, sécurisés,  comme il se doit pour un long voyage.

Le paysage défilait, il faisait encore bon à cet endroit, un lieu que ma jeunesse et ma méconnaissance géographique ne me permettent pas de nommer ; les grandes montagnes pyrénéennes étaient encore visibles de la vitre arrière de notre automobile.

Jacques et Pascaline devisaient tranquillement sur des annotations inscrites sur les dépliants que l’hôtel où nous devions être hébergés tous les cinq avait envoyé il y a quelques mois. De tous les sites proposés, Pascaline et Jacques avaient sélectionné celui-ci, pour je ne savais à l’époque quelle raison préférentielle. Mais le choix s’était déterminé dans les rires et la joie, comme tout ce qui se décidait dans ma famille.

  Julien me donnait à manger un nounours au chocolat, (friandise appréciée de tous) et Daphné décortiquait une cacahuète, lorsque soudain un tremblement de la voiture nous fit cesser, à nous autres derrière, toute activité, si gustative qu’elle soit !

Jacques jura, Pascaline gémit : un pneu venait de crever, d’après ce que j’en compris.

La voiture se gara doucement sur le bas-côté, ce n’était pas si grave après tout, simplement nous arriverions très tard au chalet, et la nuit tombait vite à cette époque dans les Alpes, parait-il ! Jacques répara, le rire cristallin revint aux lèvres de Pascaline, nous en avions profité pour nous dégourdir les jambes dans le champ d’à coté, le voyage était retardé mais le bonheur était toujours là!

Sans problème, les kilomètres se poursuivaient, sans lassitude… le fil routier nous envahissait d’une douce torpeur, ce celles qui vous tranquillisent et vous fait sommeiller, le regard immobile sur les horizons lointains…La nuit était tombée, la grande route abandonnée depuis longtemps,  nous montions des voies bordées de pentes rocheuses escarpées, un peu inquiétantes dans la pénombre fluorescente.

Nous étions presque endormis, quand Pascaline nous dit en souriant, de l’air de : « Regardez-cela-je-connais,-et-pas-vous,-mais-c’est-beau ! ».

La voiture stoppa sur une minuscule place d’une mairie villageoise.

Julien, le plus grand, avait déjà vu lors d’un séjour scolaire passé ces fleurs de neige, voltigeantes et graciles, mais glacées et fondantes. Daphné et moi restions dubitatifs : c’était donc cela la neige ? Tout ce blanc ? C’était spécial, insolite, incroyable ! Il faut bien expliquer que cet exploit des hivers et du froid ne pouvait exister dans notre lieu de villégiature habituel.

Nous étions gelés, Pascaline ordonna le retrait dans la voiture, et croyez-moi, nous obéîmes sans discuter ! Jacques de moquait un peu de nous, mais les iris au fond de ses yeux nous offraient toute sa tendresse...

Tout était calme ; Pascaline, Daphné et Julien sommeillaient ; je restais éveillé, mal à l’aise de toute cette solitude sur cette petite route grimpante, enfermée de hauts pans de roches blanches et gelées. Jacques chantonnait tout doucement, presque en chuchotant…

… Du fond de la nuit, après un virage accentué, deux lunes jaunes vinrent subitement et rapidement vers nous ; je vis un éclair, j’entendis des sons déchirants de tôle froissée, ça sentait l’essence.

Julien ne bougeait plus, il respirait étrangement,  Pascaline hurlait frénétiquement, Daphné gémissait et tremblait, et Jacques… Jacques était invisible.

 Je parvins à m’extirper de la voiture sans trop de peine par la vitre droite, explosée. J’essayais d’aider Daphné à enlever sa ceinture de sécurité, mais je ne sais quelle panique m’envahissait, je n’arrivais à rien et je m’agitais,  choqué sans doute, je m’égosillais, inutile, puis je m’éloignais et revenais spasmodiquement de et vers ce qui avait été notre berline familiale.

Elle ressemblait à présent à une masse d’où des fluides s’échappaient, je sentais l’odeur du sang, j’avais peur, j’avais peur, j’avais peur… Je hurlais…

Daphné pleurait encore et Pascaline criait aussi.

C’est au moment où je décidais de revenir vers elles après un de mes inexplicables éloignements instinctifs,  que l’explosion eut lieu.

Le brûlant brasier m’interdisait de m’approcher davantage, Pascaline s’était définitivement tue, Daphné appela douloureusement sa mère une fois, d’un long cri du dernier souffle, et je ne l’entendis plus jamais…

J’étais figé, anéanti, je restais ainsi un long moment me sembla-t’il…je m’allongeais le plus près possible du grand feu, son odeur était insoutenable…

Les fleurs de neige commençaient à me recouvrir comme un linceul. Mes récents souvenirs se heurtaient à la réalité de l’instant funeste, je ne sais comment j’eus la force de me signaler à l’homme vêtu de cuir noir qui était arrivé à descendre la pente raide avec ses amis, un long temps après…

Leur voiture hurlante toute rouge était garée là-haut, aux côtés du grand camion sombre stoppé dans sa course. Un curieux éclairage bleu vacillait dans la nuit fleurie de flocons blancs.

L’homme me prit dans ses bras, je pensais irrépressiblement à Jacques, il me semblait ressentir une chaleur affectueuse dans ces bras là. Une larme perlait au coin de ses grands yeux …

« -Il ne faut pas rester là, Bonhomme, ce n’est pas bon..."

Sa voix était ferme, mais si douce... Je gémis…

Je  n’essayais même pas de m’échapper, j’étais ankylosé, à la limite de la souffrance extrême,  et c’était insupportable, j’étais envahi par la peur, l’angoisse, la terrible peine…

Il me remonta, il s’aidait avec des cordages, là-haut je vis ce qu’il restait de Jacques, j’eus un sursaut, un hurlement lugubre m’échappa, je vomis…

L’homme me déposa délicatement sur la couchette du grand camion rouge. Je sombrais dans une léthargie étrange, j’entendais de façon très lointaine des bruits de déblaiements, de sirènes, des ordres dans tout ce désordre.

…L’aube m’a retrouvé, hagard, pétrifié, au même endroit.

Je ne saignais plus de la tête… un de mes membres était tout dur, mais je ne sentais pas le mal. Un gros bandage l’enserrait ; je n’avais pas eu conscience de ce soin…

…Les fleurs de neige étaient parties, un pâle soleil éclairait à présent le ravin meurtrier.

 

 

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Je léchais mes pattes roussies par l’incendie… l’homme revenait, il tenait dans sa main dégantée mon collier de noël que j’avais eu en arrivant dans ma famille à cette époque là, ma date de naissance et mon nom étaient inscrits dessus. Il m’observa gentiment, me caressa, et me dit :

         - « Tu sais, j’ai bien envie d’un brave et gentil toutou, Philou! 

 

 
Étienne se tourna vers un des autres hommes en noir,  je percevais leur fatigue et leur émotion, leur chagrin à tous. Leurs vêtements étaient poussiéreux et sales.

Il soupira et dit :

         - « Je vais le garder, tu sais. Il a pratiquement six mois. » Il triturait mon collier, que j’avais dû perdre en bas.

- « Sale boulot tout de même parfois ! Pas un rescapé, à part celui-là, » répondait l’autre homme en me montrant du doigt.


-  Oui… Même le routier est mort. Dire qu’ils étaient presque arrivés ! Le seul hôtel de la région où les animaux sont acceptés en plus ! Ce devait être de braves gens… » Répondit tristement l’homme qui m’avait remonté de l’enfer, et ses mots étaient lents. «  Cette chute de neige imprévue en est l’origine, il n’y avait aucune visibilité.


- Hélas ! Un vrai temps de chien.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
A
oui, ce texte est... très prenant<br /> pas facile effectivement, surtout si des souvenirs sont bien réels. Quelle maîtrise, quand même, j'étais persuadé que le p'tit bonhomme était un petit garçon muet. <br /> très beau, très triste, très bien ;)
F
Le défi d'écriture était de présenter une situation horrible ; quoi de plus horrible que de perdre brusquement les siens???<br /> <br /> j'ajoute que ce défi n'a pas été une partie de plaisir pour moi!
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